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RIAQ | Réseau d'information des aînés du Québec | |
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Vous avez beau proposer au Trésor l’invasion d’autant de centres commerciaux qu’il s’en trouve à vingt kilomètres à la ronde, « grand-maman, c’est sur la rue Saint-Hubert qu’il faut aller! » La Pichounette a raison. Vous vous ralliez et conduisez l’illustre princesse vers le lieu de prédilection. Il se trouve à cinquante minutes de chez-vous. Ajoutez à cela les deux ou trois feux terriblement jaunes que vous avez grillés, et vous y voilà. Vous n’avez pas mis les pieds rue Saint-Hubert depuis la naissance de votre dernier qui a quarante ans aujourd’hui. C’était l’époque où vous fréquentiez la célèbre madame Lalongé, spécialisée en vêtements pour les jeunes. Si, à bien y penser, vous avez arpenté la rue Saint-Hubert une autre fois, lorsque vous avez accompagné la fiancée de fiston pour acheter sa robe de mariée, il y a au moins dix ans de cela. Revenons à notre robe de bal. Nous sommes en pleine vague de froid. Moins 15° Celsius, prédisait sadiquement miss Météo, une heure avant votre départ. N’étant pas du type Brigitte Bardot, vous emmitouflez votre petite personne dans votre amour de castor qui vous rappelle constamment la publicité de Bell à l’heure des Jeux Olympiques 2006. Vivant en banlieue, vous avez oublié que les trottoirs de la Plaza sont dégagés. Vous voilà chaussée de vos bottes après-ski fourrées de laine de mouton et lacées jusqu’aux mollets. Dieu vous aime. Vous trouvez un stationnement de rêve avec vue sur au moins cinq boutiques d’affilées. C’est à qui étalerait les plus belles robes de bal dans sa vitrine. La fille de votre fille est aux anges. Donc, vous êtes automatiquement aux anges vous aussi. Une boutique n’attend pas l’autre. Vous vous précipitez sur la première. Holà! C’est inscrit de retirer vos chaussures à l’entrée. Malheur! Ce sera partout la même consigne. Il n’en faut pas plus. Après avoir délacé puis retiré péniblement vos précieuses bottes pour finalement les abandonner parmi tant d’autres, voilà que s’amène cette ancienne donzelle, sûrement une danseuse de bar dans sa vie antérieure. Elle vous accueille avec un « bonjour la belle madame ». La salutation est loin de plaire à la va-nu-pieds. Pour vous permettre de déambuler agilement dans ce capharnaüm de robes de bal, on vous propose de glisser vos petits petons déjà mouillés dans des machins de papier brun qui ne vous tiennent pas dans les pieds. De toute façon, il est trop tard. Vos Dim Voile Pointes Invisibles, 7,95 $ avant taxes, sont déjà détrempés. À la fin de la journée, ayant répété le rituel cent fois - j’exagère un peu - les misérables seront définitivement troués. De nature optimiste, vous cherchez toujours le beau côté des choses. Courir une robe de bal - le verbe n’est pas trop fort - peut devenir une sortie mondaine très agréable, et je vous dis pourquoi. Au fur et à mesure que l’heure passe, vous vous rendez compte que vous faites dorénavant partie de la horde des magasineuses de robes de bal. Que d’une boutique à l’autre, vous vous retrouvez les mêmes grands-mères. Tandis que votre Héritière se glisse dans la cabine d’essayage - vous savez par expérience qu’il lui faudra un bon petit moment pour en ressortir - vous vous hâtez de rejoindre vos magasineuses de fortune et reprendre la conversation là où vous l’avez laissée deux portes plus tôt. J’y pense, il faut que je vous dise. Vous, la nostalgique, qui regrettez l’époque de votre jeunesse et la mode des robes « strapless », des jupes ballerines et des crinolines, consolez-vous, Barbie les a ressuscitées et les Pichounettes en sont folles. Des splendeurs « Made Ailleurs » aux couleurs d’arc-en-ciel taillées dans des tissus vaporeux, chatoyants, somptueux : tulle, satin, soie et dentelle. Des chefs-d’œuvre ornés de rubans, de pierreries, de perles, de broderie, je vous jure, Barbie n’en demanderait pas plus. Revenons à notre chemin de croix. Pour la septième ou huitième fois, Dieu sait, vous retirez vos lourdes bottes. On ne parle plus de vos « Dim ». Vous avez encore la force de réfléchir. Comme chez votre coiffeuse et votre esthéticienne, pourquoi ne pas mettre à votre portée ces malheureuses Phentex qui, soit dit en passant, sont préférables aux machins de papier brun qui vous rappellent, une fois de plus, vos visites chez votre dentiste ou votre gynéco. Sur la pointe des pieds, même si vous n’avez rien de la ballerine, vous revoilà transportée dans ce monde de rêve « dis-moi miroir, suis-je la plus belle? » Ce n’est plus vous. C’est votre petite-fille qui prépare son premier bal. Vous, vous êtes la bonne fée.
Comme si elle avait l’éternité pour faire son choix, rêveuse, elle se contemple dans le miroir, prenant conscience de sa grâce et de sa féminité. Quelle grand-mère, même un peu lasse, pourrait ne pas sourire à sa petite-fille, et s’en émerveiller. C’est le bonheur total, jusqu’au moment où vous vous rappelez que le parcomètre doit crier famine. Vous enfilez fébrilement vos coûteuses bottes, jurez au Trésor de revenir à l’instant, vous disant : tant pis si j’ai une contravention; d’avoir passé une journée avec ma petite-fille, ça en vaut bien le coût! Pierrette Paré Walsh ( ppwalsh@okiok.com )
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